Retour (tardif) sur l’exposition « Ville magique »

Il y a quelques semaines, je me suis rendu à l’exposition « Ville magique », à Lille, au LAM* (expo du 29 septembre 2012 au 13 janvier 2013) lors de la nouvelle édition de lille3000, Fantastic 2012. Elle réunissait plus de 200 peintures, dessins, collages, photographies et films, structurés en quatre thèmes que je présente ici. J’avais écrit ce texte en rentrant de l’expo sans jamais le mettre sur ce site, voilà qui est maintenant réparé.


La ville verticale : La première partie de l’exposition met en scène Manhattan et sa verticalité. Le gigantisme de la ville impose un changement de point de vue : la ville ne peut être décrite que de façon fragmentaire. Les premières œuvres adoptent un point de vue en contre-plongée permettant de souligner la hauteur et la « pesanteur » des bâtiments. Le ciel, point de fuite de l’ensemble des toiles, est partiellement représenté, voire absent. Devant le tableau de Georgia O’Keeffe, City night, l’observateur est pris dans l’étau des alignements architecturaux. Les bâtiments enveloppent l’individu, ils l’empêchent de s’extirper vers un ciel immaculé. La verticalité de la ville est imposante, pesante, vertigineuse. Au fil des toiles, l’individu est peu à peu représenté. Il est à la fois isolé et minuscule. L’imaginaire du gigantisme se lie à celui de la solitude. Cette évolution marque l’enthousiasme et l’ivresse des artistes de l’entre-deux-guerres vis-à-vis des villes qui attirent les foules et qui « explosent » démographiquement. Pour autant, à l’image des toiles de Karl Völker, si l’individu n’est plus isolé au milieu des buildings, il l’est au milieu de la foule.


La ville chaos : La critique des artistes se déplace du rapport individuel/collectif à celui de la lutte des classes avec, en œuvre phare de cette seconde partie, Metropolis, de Fritz Lang. Les métaphores de la fourmilière humaine et de la ville machine se lient pour donner corps à une nouvelle Babel, ville brouillonne automatisée qui ne s’arrête jamais. Cette symphonie urbaine est explicite au travers du film de Walter Ruttmann, Berlin symphonie d’une grande ville, mais elle est également le reflet d’une partition hétérogène. New-York et Berlin sont les figures d’un chaos urbain que le collage de Paul Citroen, intitulé également Metropolis, résume parfaitement : saturation de l’espace et des sens, juxtaposition des points de vue, espace labyrinthique, telles sont les visions des artistes de la grande ville des années 20.

La ville, théâtre de l’inconscient : La ville est pensée comme théâtre de l’imaginaire et de l’étrangeté, miroir de l’inconscient et théâtre de la mémoire. La composition de l’image retrouve une répartition plus cohérente entre les éléments. Le ciel et le sol sont représentés et le point de fuite est le plus souvent central : l’espace semble fonctionnel et organisé. Les surréalistes réinvestissent la ville pour la ré-humaniser. Ils la décrivent tour à tour comme un organe ou comme une archéologie de soi. Lieu de fantasmes et de désirs, de souvenirs et d’intimité, les œuvres de Paul Delvaux, de Magritte ou encore de Maddox se lient aux ouvrages de Louis Aragon et d’André Breton pour décrire des villes (comme Paris) au travers d’une composition de strates antiques et modernes. Comme l’inconscient, la ville est le lieu d’une perpétuelle reconstruction / déconstruction.

La ville noire : Fil conducteur de l’exposition, le septième art introduit également cette dernière partie avec le film Dark Passage de Delmer Daves. Lieu du crime, la ville est irréversiblement le lieu de l’enquête. La figure du détective se mêle alors à celles du criminel et de la femme fatale, dévoilant par la même occasion la relation profonde que le personnage de détective entretient à celle du flâneur baudelairien. Il semble égaré, perdu, seul, mais il connaît la ville nocturne et ses secrets. La ville devient alors un personnage à part entière, possédant ses lieux atypiques, ses recoins et ses ambiances spécifiques, que les photographies de Willy Ronis ou de Brassaï illustrent parfaitement. Les personnages et la ville jouent ensemble avec les ombres et des lumières que les gravures de Marin Lewis mettent magistralement en scène.

Lille métropole musée d’art moderne d’art contemporain et d’art brut.